Manger ou désirer ? Pour certains, le fantasme prend un goût de viande crue. Quand l’imaginaire érotique flirte avec l’idée de dévorer (ou d’être dévoré) on entre dans le terrain glissant, fascinant, dérangeant de la vorarephilie. La LOVE Team a creusé le sujet.
En janvier 2021, la carrière d’Armie Hammer implose. L’acteur, adulé pour ses rôles dans The Social Network ou Call Me By Your Name, devient persona non grata à Hollywood après une série d’accusations d’abus. Mais ce qui électrise les tabloïds n’est pas seulement la gravité des témoignages : ce sont ses textos. Dans l’un d’eux, il écrit noir sur blanc être “100% cannibale” et confie à sa partenaire qu’il rêve de la “manger”. En pleine ère #MeToo, où les révélations troublantes ne manquent pas, celle-ci frappe plus fort que les autres. Le mot “cannibale” détonne, glace, fascine.
Mais derrière le buzz sordide, une réalité peu connue se dessine : pour certains, ce genre de fantasme n’a rien d’un délire passager. C’est une excitation profonde, obsédante, une attirance sexuelle à part entière. Elle a un nom : la vorarephilie. Alors, pourquoi ce fantasme extrême nous happe-t-il autant ? Qu’est-ce qui pousse certains à désirer être mangés — ou à rêver de dévorer ? Et surtout, est-ce un kink comme un autre… ou un danger réel ? On fait le point.
La vorarephilie, c’est quoi exactement ?
La vorarephilie est une paraphilie (ou fantasme sexuel atypique) centrée sur l’idée de consommer ou d’être consommé. Cela peut prendre plusieurs formes : se représenter en train de manger un autre être, le plus souvent vivant et entier ; fantasmer sur le fait d’être soi-même avalé·e ; ou encore éprouver de l’excitation en observant une scène où l’un dévore l’autre. Pour certain·es, le plaisir vient aussi de l’imaginaire de fusion : se dissoudre en l’autre, ou absorber un corps jusqu’à ne faire plus qu’un. Bien qu’elle s’inspire du cannibalisme, il s’agit ici d’une version entièrement fantasmée, souvent très éloignée de toute réalité physique. Dans les communautés en ligne ou les cercles fétichistes, les personnes concernées se désignent simplement comme des “vore”. Comme dans bien des kinks, les rôles sont codifiés : il y a les “prédateurs”, ceux qui dévorent ; les “proies”, ceux qui se laissent manger ; et les “observateurs”, excités à l’idée d’assister à la scène sans y prendre part directement.
Vorarephilie et sadomasochisme : un lien pas si évident
À première vue, difficile de ne pas rapprocher la vorarephilie du
sadomasochisme
. Après tout, il est question de domination totale, de destruction symbolique, voire d’engloutissement. Mais dans les faits, ce n’est pas toujours aussi simple. Pour beaucoup de “vores”, le cœur du fantasme ne repose pas sur la souffrance, ni même sur l’idée de cruauté. L’excitation ne vient pas du fait de faire mal ou d’être maltraité·e, mais plutôt de cette idée étrange et puissante : absorber un autre corps entièrement, ou être soi-même avalé·e, jusqu’à ne plus exister.
Le plaisir se loge alors dans la notion d’annihilation, d’effacement de l’identité, de dissolution totale dans l’autre. Une sorte de fusion ultime, où la frontière entre deux êtres disparaît. On pourrait y voir un écho à certaines formes de sexualité “classique” : la pénétration, par exemple, peut déjà contenir symboliquement cette idée d’intrusion, de mélange des corps. La vorarephilie, elle, pousse cette logique à l’extrême, sans toujours passer par la douleur ou la violence.
Quelles formes peut prendre le fantasme vorarephile ?
Le fantasme vorarephile n’a rien de monolithique. Il se décline en une multitude de scénarios, de dynamiques et de représentations, parfois très loin de l’image classique d’un humain dévorant un autre par la bouche. L’univers “vore” est vaste, nourri par des récits, des illustrations et des animations partagées dans des communautés en ligne, souvent à la frontière entre l’imaginaire érotique et le fantastique.
La forme la plus répandue reste ce qu’on appelle le “soft vore”, où une “proie” est avalée vivante, entière, par un “prédateur”, sans violence graphique ni sang. Dans ce scénario, l’autre est englouti et reste intact dans le ventre de son partenaire, souvent dans une sorte de bulle protectrice ou chaude. Le plaisir vient alors de l’idée d’être contenu, absorbé, maintenu en vie dans un espace clos. Mais cette version “douce” du fantasme n’est qu’un point de départ.
Il existe aussi des variantes où l’ingestion ne passe pas par la bouche :
Anal vore : la “proie” est absorbée par l’anus du “prédateur”.
Unbirth : le corps de l’autre est “reçu” par le vagin, dans une logique de retour au corps maternel, souvent lié à des fantasmes de régression ou de fusion.
Cock vore : la pénétration se fait par le pénis, souvent représenté comme élastique ou agrandi, avec une charge érotique marquée.
- Breast vore : le corps de la proie est absorbé par les seins du “prédateur”, dans un imaginaire nourricier ou enveloppant.
À cela s’ajoute une autre variation fréquente : les jeux d’échelle. Dans les fantasmes “micro/macro”, l’un des partenaires est minuscule, l’autre géant. Cette différence de taille extrême renforce l’idée de domination ou d’impuissance, mais aussi de protection, selon les mises en scène.
Tous ces scénarios ont un point commun : ils font appel à des représentations très éloignées du réel, souvent fantastiques, irréalisables, mais profondément structurées autour du corps, de la fusion et de la disparition symbolique de l’autre.
Comment vivre ses fantasmes de vorarephilie en toute sécurité
Difficile de faire plus clair : la vorarephilie, dans sa forme littérale, n’est pas praticable dans la vraie vie sans basculer dans la violence, l’illégalité… et la mise en danger d’autrui. C’est donc, par essence, un fantasme : un scénario mental, une mise en scène imaginaire, parfois très poussée, mais qui ne peut pas se traduire physiquement sans conséquences graves.
Alors, comment explorer ce désir sans franchir la ligne rouge ? Comme beaucoup de paraphilies, la réponse passe par le jeu de rôle consenti, l’imaginaire partagé, et les communautés en ligne. De nombreux “vores” se retrouvent sur des forums, serveurs Discord ou plateformes spécialisées où ils échangent récits, dessins, animations et scénarios entre personnes consentantes, sans jugement. Certains artistes se sont même spécialisés dans la création de contenus érotiques autour de la vorarephilie, entre illustration numérique et fiction érotico-fantastique.
Dans la vie réelle, les couples ou partenaires qui partagent ce kink peuvent mettre en place des scénarios symboliques. L’un des exemples les plus courants consiste à préparer un plat de viande (du porc, par exemple, souvent choisi pour sa ressemblance avec la chair humaine) et à le consommer dans un contexte codé : la “proie” devient alors le plat, le “prédateur” joue son rôle, et tout se déroule dans un cadre clair, consenti et fictif.
Pour d’autres, l’excitation passe par l’observation indirecte. Certains trouvent du plaisir à regarder des animaux carnivores (comme une grenouille, un gecko, ou même une plante carnivore comme la Dionée) attraper et ingérer leurs proies. Rien d’érotique dans le geste en soi, mais le simple fait de voir l’acte de dévoration suffit parfois à stimuler l’imaginaire.
Quelle que soit la manière dont ce fantasme est exploré, une règle reste non négociable : le consentement total, explicite, éclairé. Aucune mise en scène ne devrait se faire sans une discussion claire en amont, des limites posées, et un respect mutuel absolu.
La vorarephilie fascine autant qu’elle dérange, précisément parce qu’elle touche à des instincts profonds : le contrôle, la disparition, la fusion avec l’autre. Si elle reste marginale et largement fantasmée, elle n’est pas pour autant aberrante. Comme beaucoup de kinks, elle vit dans l’imaginaire, s’exprime par le jeu, le récit, l’art, ou des scénarios très codés, sans jamais franchir la frontière du réel. Et si elle paraît extrême de l’extérieur, pour ceux qui la vivent, elle obéit aux mêmes principes que toute pratique érotique alternative : liberté, consentement, et respect mutuel.