Peut-on être addict.e aux sextoys ?

Publié le 20 juin 2025 par Louise
Peut-on être addict.e aux sextoys ?

Objet de plaisir et d’exploration sexuelle, le sextoy est désormais largement banalisé. Mais que se passe-t-il lorsque l’outil devient indispensable ? Quand le plaisir se transforme en besoin, où commence la dépendance ?

L’usage des sextoys

L’utilisation de sextoys s’est considérablement répandue ces deux dernières décennies, et plus encore depuis les confinements dus au COVID-19 (Döring, 2020). Cette « technologisation du plaisir » répond à une double dynamique : l’accessibilité accélérée par la vente en ligne et la valorisation croissante de l'orgasme féminin dans les représentations sociales (Kraus, 2017). Aujourd’hui, une personne sur deux possède ou a possédé un sextoy (Hald et al., 2025) et l’utilise au moins une fois par mois (Wood et al., 2017). Soixante-dix-sept pourcents l’utilisent pour se masturber en solo et 74 % dans des relations sexuelles partagées (Williams et al., 2025).

Les motivations pour l'utilisation des sex-toys incluent l'amélioration du plaisir et de la satisfaction sexuelle et relationnelle (Hald et al., 2025), le renforcement de la libido et la réduction des tensions sexuelles (26 %), la diminution du stress et de l'anxiété (14 %) et la compensation de l'absence de partenaire (10 %). Quant à l'insatisfaction sexuelle en couple, elle est très peu invoquée (2 %) (Williams et al., 2025).

Les effets positifs de l’utilisation de sextoys sont nombreux, tels que l’amélioration de l’estime de soi corporelle et sexuelle, la satisfaction sexuelle, la confiance en soi et la qualité de la vie sexuelle dans le couple (Hald et al., 2025 ; Herbenick et al., 2010) ; (Waskul & Anklan, 2019). Ils peuvent même participer à guérir des troubles de l’orgasme et de l’excitation (Guess et al., 2017). Cependant, des effets négatifs sont aussi rapportés : douleurs, réactions allergiques, risques d'IST, honte et culpabilité, voire un sentiment de dépendance (Döring, 2021 ; Dahlberg et al., 2019).

D’où notre question : peut-on devenir addict.e aux sextoys ?

De la banalisation à la potentielle dépendance

L’utilisation des sextoys s’inscrit dans une dynamique de découverte, d’excitation et de plaisir sexuels, que ce soit en couple ou en solitaire (Döring & Pöschl, 2018). Leur impact est majoritairement perçu comme positif : 65 % des utilisatrices déclarent qu’ils améliorent leur bien-être sexuel (Kraus, 2017). L’usage du sextoy en couple est associé à une meilleure communication sexuelle, à un renforcement de la complicité et à une satisfaction sexuelle accrue (Herbenick et al., 2010 ; Pascoal et al., 2015).

Cependant, certaines situations évoquent un usage excessif, voire compulsif. L’addiction aux sextoys n’existe pas en tant que telle dans les manuels diagnostiques, mais elle pourrait s’apparenter au « Compulsive Sexual Behavior Disorder », soit « Trouble du Comportement Sexuel Compulsif » (WHO, 2018).

Comme pour d’autres comportements sexuels (pornographie, masturbation, cybersexualité…), la fréquence, l’intensité et les conséquences psychosociales peuvent être préoccupantes. En effet, l’addiction comportementale (Goodman, 2001) repose sur plusieurs critères : perte de contrôle, poursuite du comportement malgré les conséquences négatives, craving (envie impérieuse), incapacité à contrôler des impulsions sexuelles, détresse, altération significative du fonctionnement social et professionnel…

"Selon de nombreuses études récentes, l’utilisation de sextoys augmente la satisfaction sexuelle. Mieux connaître son corps, enrichir la complicité dans le couple, se faire plaisir seul.e…, les bénéfices sont variés. L’important est d’en limiter l’usage compulsif et de diversifier les pratiques pour rester libre d’explorer la sexualité sereinement, en solo et / ou en couple" - Louise PAITEL, Psychologue clinicienne et sexologue diplômée, chercheuse à l’Université Côte d’Azur de Nice. -

Addict.e au sextoy ou addict.e à l’orgasme ?

Plus qu’au sextoy en lui-même, l’addiction semble concerner l’expérience orgasmique qu’il permet. C’est un peu comme la seringue dans l’addiction à l’héroïne ou le smartphone dans l’addiction à son contenu (Panova & Carbonell, 2019). En effet, plusieurs chercheurs (Reid et al., 2012 ; Kraus et al., 2016) ont décrit une addiction à l’orgasme ou au pic d’excitation sexuelle.

Les sextoys, en particulier ceux à haute fréquence vibratoire, permettent d’atteindre des orgasmes rapides et parfois répétés, potentiellement plus puissants que par voie naturelle, que ce soit seul.e ou en couple. Un effet d’habituation apparaît alors : une stimulation plus forte est ensuite nécessaire pour atteindre le même niveau de plaisir (Hilton, 2013), stimulation difficile ou impossible à retrouver en contexte naturel. D’autant plus qu’une stimulation forte et prolongée peut parfois entraîner un phénomène nommé « numbness » (engourdissement) au niveau de la zone génitale, phénomène tout à fait transitoire (Herbenick et al., 2010).

Comme l’explique Marthylle Lagadec, psychologue et sexologue : « Le risque pour la personne addicte, c’est que tout finisse par devenir fade. Progressivement, le circuit de récompense s'habitue, n’est plus satisfait, et nécessite une excitation sexuelle plus forte et de plus en plus répétitive pour obtenir sa dose ».

Le point de vue des neurosciences

Les recherches en neurosciences le confirment : l’addiction à des objets peut être similaire à l’addiction aux substances psychoactives. L’orgasme provoque une décharge massive de dopamine dans le noyau accumbens (Prause et al., 2015), activant le circuit de la récompense.

Si le sextoy est associé à un contexte masturbatoire compulsif, la stimulation répétée de ce circuit peut entraîner une sensibilisation du circuit dopaminergique (Banca et al., 2016). C’est-à-dire que le plaisir ressenti d’habitude lors d’un orgasme devient frustrant, car il n’atteint plus la même intensité qu’auparavant.

La personne va se lancer à la recherche du plaisir du début en augmentant la stimulation, et donc en devenant plus addicte. Le « wanting » (besoin compulsif de stimulation) va augmenter, sans que le « liking » (plaisir ressenti) n’augmente en conséquence (Robinson & Berridge, 2003). L’utilisation du sextoy peut ainsi devenir une habitude ritualisée et addictive, motivée non plus par le plaisir, mais par la nécessité de soulager un malaise psychique.

Impact sur la vie relationnelle et sexuelle

L’usage compulsif et exclusif de sextoys est déconseillé, car il peut également affaiblir la réceptivité sexuelle. Ainsi, certaines femmes rapportent une difficulté à jouir sans leur sextoy (Chivers et al., 2010). La médecin et sexologue Catherine Solano rappelle dans son livre l’importance de varier les stimulations, de diminuer progressivement l’intensité vibratoire et de maintenir un dialogue ouvert avec le ou la partenaire.

Intégré dans une relation de complicité, le sextoy peut être un facilitateur d’intimité et favoriser la communication et la satisfaction sexuelles. Mais s’il se substitue à l’autre, il peut aussi devenir un facteur de conflits ou d’isolement. Comme le confirme une étude, certains comportements sexuels peuvent devenir problématiques lorsque l'individu privilégie l'utilisation de sextoys au détriment des relations interpersonnelles (Brotto et al. , 2016).

Comportement auto-rassurant ou substitut relationnel ?

Certains usages des sextoys pourraient s’interpréter comme des comportements contraphobiques (c’est-à-dire utiliser un objet familier pour s’apaiser, se rassurer), pour éviter ici la peur de l’autre ou de l’intimité. Ce mécanisme est notamment retrouvé chez des personnes ayant vécu des traumatismes relationnels ou sexuels (Briere & Scott, 2015).

La recherche de plaisir sexuel sans se confronter à l’autre (à son regard, sa différence…) peut apparaître d’abord comme une bonne stratégie d’adaptation. Mais si l’usage du sextoy devient exclusif, il peut nourrir la solitude affective tout en renforçant l’addiction, dans un cercle vicieux qui isole la personne (Moali, 2017).

Ainsi, l’aspect émotionnel de la connexion avec l’autre est mis de côté. C’est même avant tout pour s’apaiser seul.e que le sextoy est utilisé, en réponse au stress, à l’anxiété ou à la solitude, par exemple pour compenser le vide laissé par le.la partenaire à la suite d’une rupture amoureuse. Cette fonction de régulation est commune à de nombreuses addictions comportementales (Sussman et al., 2011).

Ce n’est donc plus l’accès à un orgasme qui est recherché, mais l’apaisement des tensions internes que permet la décharge physiologique. Comme le rappelle Marthylle Lagadec, « Il n'y a aucun problème à se faire du bien quand on se sent mal, mais l'usage de sextoys peut devenir problématique si vous faites systématiquement appel à ce comportement pour remédier à votre souffrance. »

Prise en charge : une approche multidimensionnelle

La prise en charge d’une dépendance aux sextoys repose sur les mêmes principes que pour les autres addictions comportementales. Elle combine :

  • Un travail pour clarifier et comparer les coûts et bénéfices du comportement (Miller & Rollnick, 2013)
  • Une thérapie cognitivo-comportementale pour identifier les déclencheurs, les croyances dysfonctionnelles (par exemple, « Je ne peux pas avoir de plaisir sans ça », « J’ai peur d’être en échec si je ne l’utilise pas »), et mettre en place des stratégies et pensées alternatives.
  • Un travail sur les valeurs et la pleine conscience, tel que proposé par la thérapie d’acceptation et d’engagement (Hayes et al., 2011), pour sortir du pilotage automatique et se reconnecter à des choix sensoriels, émotionnels et relationnels conscients.
  • Un accompagnement sexologique ou addictologique si besoin, afin de restaurer une sensibilité aux stimulations autres, sortir du cercle vicieux de l’isolement et revaloriser une sexualité variée et / ou partagée.

Alors, peut-on être addict.e aux sextoys ?

S’il n’existe pas de dépendance à l’objet en soi, le sextoy peut devenir le vecteur d’un comportement sexuel compulsif, s’il est utilisé de façon ritualisée, exclusive et en réponse systématique à un mal-être. C’est moins l’objet que la relation que l’on entretient avec lui qui peut poser problème. Une vigilance est donc nécessaire si l’usage interfère avec le bien-être psychique, social, professionnel et / ou relationnel.

Mais, utilisé avec modération, conscience et dans une dynamique récréative, le sextoy reste un outil de découverte, de plaisir et d’affirmation sexuelle personnelle et relationnelle. Ainsi, une étude allemande a révélé que les utilisateurs.trices de sextoys leur attribuaient beaucoup plus d'effets positifs que négatifs sur leur vie sexuelle (Döring & Poeschl, 2020). Et cet équilibre doit guider notre utilisation : le sextoy est avant tout conçu pour… le plaisir !

Références

  • ​Banca, P., Morris, L. S., Mitchell, S., Harrison, N. A., Potenza, M. N., & Voon, V. (2016). Novelty, conditioning and attentional bias to sexual rewards. Brain and Cognition, 107, 78–88.
  • Briere, J., & Scott, C. (2015). Principles of trauma therapy: A guide to symptoms, evaluation, and treatment (2nd ed.). Sage Publications.
  • Brotto, L. A., Seal, B. N., & Rellini, A. (2016). Sexual functioning among women with genital pain: A study of psychosocial factors. The Journal of Sexual Medicine, 13(4), 812–821.
  • Chivers, M. L., Roy, C., Grimbos, T., Cantor, J. M., Seto, M. C., & Lykins, A. (2010). Assessment of sexual response in women with and without difficulties in sexual arousal. Journal of Sex Research, 47(2–3), 123–139.
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