Les sexdolls : entre fantasme, compagnie, et thérapie

Publié le 20 août 2025 et mis à jour le 1 septembre 2025 par Louise Paitel
Les sexdolls : entre fantasme, compagnie, et thérapie

Louise Paitel, la sexologue préférée de notre LOVE Team, revient aujourd’hui sur un sujet aussi fascinant que controversé : les sex dolls. Ces poupées sexuelles ultra-réalistes ne sont plus seulement des objets de plaisir, mais s’imposent aussi comme compagnons affectifs, outils de rééducation sexuelle et terrains d’exploration fantasmatique. Entre innovations technologiques, préjugés persistants et usages thérapeutiques, découvrons ensemble la réalité derrière le silicone.

Qu’est-ce qu’une poupée sexuelle ? Définition et innovations récentes

Les poupées sexuelles, ou sexdolls, sont des objets anthropomorphes (de forme humaine) conçus pour la stimulation sexuelle. Contrairement aux sextoys classiques, leur spécificité réside dans leur apparence humaine, souvent féminine, leur texture réaliste (silicone, TPE) et leur capacité à incarner « un.e partenaire » plutôt qu'un simple outil de plaisir (Döring & Pöschl, 2018). Certaines poupées sont équipées de modules chauffants et de membres articulés, voire de systèmes vocaux ou de réponse tactile simple. Ainsi, les sexdolls s'inscrivent dans un continuum allant des mannequins gonflables inanimés aux sexbots (robots sexuels mécanisés et dotés d’une IA).

D'un point de vue psychosocial, la sexdoll remplit trois fonctions principales : sexuelle (stimulation physique et substitution à un.e partenaire humain.e), affective (compagnie et attachement émotionnel) et symbolique (projection de fantasmes et revalorisation narcissique) (Langcaster-James & Bentley, 2018).

Qui achète des love dolls ? Portrait des utilisateurs et utilisatrices

Une étude de Harper et al. (2022) sur 293 hommes possédant des sexdolls révèle que :

  • 72 % se définissent comme hétérosexuels,
  • L'âge moyen est de 38 ans, avec une majorité entre 30 et 50 ans,
  • 55 % sont célibataires et 20 % divorcés.
  • De plus, 83 % vivent en ville (Langcaster-James & Bentley, 2018).

En général, les utilisateurs sont issus des classes moyennes, travaillent dans des secteurs techniques ou créatifs, et présentent un niveau scolaire supérieur au secondaire (Harper et al., 2022). Les utilisatrices sont peu nombreuses (3 à 4 %) (Langcaster-James & Bentley, 2018 ; Peschka & Raab, 2022), et encore trop peu étudiées pour dresser leur profil.

Pourquoi utiliser une sex doll ? Les motivations les plus fréquentes

Les motivations des utilisateurs sont multiples :

  • Le plaisir sexuel sans contrainte ni risque, sans exposition au jugement ou à l'échec,
  • La réduction de l'anxiété sociale, notamment dans les interactions sexuelles,
  • La compagnie émotionnelle dans un contexte de solitude ou après une rupture,
  • L’exploration de fantasmes jugés inavouables ou irréalisables (Döring & Pöschl, 2018).

Certains utilisateurs considèrent aussi leur poupée comme une partenaire dotée d'une histoire, d'un prénom, voire d'une personnalité. La sexdoll devient alors un support de projection affective, parfois ritualisée, pour compenser un manque relationnel (Langcaster-James & Bentley, 2018).

"Les sexdolls représentent une alternative innovante pour la stimulation tant sexuelle qu'affective. Elles peuvent notamment aider à réduire l'anxiété sociale et offrir un espace sécurisé d'exploration sexuelle. Cependant, pour maximiser ces bénéfices et minimiser les risques de dépendance et de repli social, il est essentiel que leur utilisation reste agréable et modérée." - Louise PAITEL, Psychologue clinicienne et sexologue diplômée, chercheuse à l’Université Côte d’Azur de Nice. -

Les bénéfices inattendus de l’usage des poupées sexuelles

Les études qualitatives rapportent plusieurs bénéfices perçus par les utilisateurs :

  • Une diminution du stress lié à la performance, à la comparaison ou au jugement (Harper et al., 2022) : l’utilisation d’une poupée permet de retrouver confiance en ses capacités, parfois comme une étape vers la reprise des relations humaines. Certains parlent ainsi de la sexdoll comme d'un « outil de rééducation sexuelle ».
  • La satisfaction sexuelle : disponibles tout le temps, les sexdolls offrent une autonomie sexuelle continue, sans besoin de partenaires humains. Cette liberté peut permettre une exploration de pratiques spécifiques (BDSM, fétichisme…), voire illégales, sans mettre un tiers en position de danger ou de contrainte (Döring & Pöschl, 2018 ; Harper & Lievesley, 2022).
  • La compagnie et la stabilité affective : bien que la poupée soit inanimée, certains usagers disent ressentir un soutien émotionnel face à la solitude, particulièrement lors d'épisodes de tristesse ou d'anxiété. Dans certains cas, ils développent un attachement important à leur sexdoll, la décrivant comme une partenaire aimante, une confidente dans la vie de tous les jours (Langcaster-James & Bentley, 2018).
  • L’expression de soi et la créativité : les sexdolls sont parfois intégrées à des rituels artistiques ou photographiques. Des forums entiers sont consacrés à la customisation, au style vestimentaire ou à la mise en scène des dolls. Ce processus créatif participe à une satisfaction identitaire forte, y compris chez les hommes s'identifiant comme asexuels (Döring & Pöschl, 2018). Ainsi, les sexdolls ne sont pas toujours utilisées pour la sexualité. Par exemple, dans une étude menée au Japon, 58 % des utilisateurs interrogés n’avaient pas eu de rapport sexuel avec leur poupée et 41 % l’avaient acquise pour un usage photographique ou esthétique (Aoki & Kimura, 2021).

Quels sont les risques liés à ce type de jouet ? Addiction et isolement

Addiction comportementale

Même si l'usage d'une sexdoll ne répond pas strictement aux critères d'une addiction tels que définis dans le DSM-5 (APA, 2013), il peut devenir compulsif ou ritualisé, avec une perte de contrôle, une augmentation de la fréquence d'utilisation, un isolement social croissant…, à l’instar d’autres addictions comportementales. La frontière est ténue entre un usage volontaire et gratifiant et une dépendance émotionnelle et sexuelle. Il est donc nécessaire de veiller à conserver une utilisation agréable, qui n’envahit pas les autres domaines de la vie.

Isolement relationnel

Le risque principal n'est pas l'objet en lui-même, mais son effet de substitution. L'usager peut développer un lien exclusif à sa ou ses poupée(s), au détriment des relations humaines, souvent perçues comme méconnues et plus imprévisibles ou menaçantes (Harper et al., 2022). Dans ce contexte, la sexdoll finit par incarner un repli affectif sécurisé, entre fantasme de contrôle et évitement relationnel et social. Et ce lien exclusif peut figer l’utilisateur dans une relation unilatérale, sans réciprocité, et donc sans confrontation à l’altérité (Langcaster-James & Bentley, 2018).

Sex dolls et clichés : entre idées reçues et vérités scientifiques

La communauté des « dollers » souffre malheureusement de nombreux préjugés. Le premier est que les sexdolls encouragent chez eux une représentation déshumanisée des femmes. Selon certains médias ou chercheurs, la sexdoll est une femme-objet, encourageant une vision dominante, consumériste et instrumentale de la gent féminine (Desbuleux & Fuss, 2023 ; Richardson & Brilling, 2015). D’autres études montrent que les utilisateurs ne manifestent pas davantage de traits misogynes que la population générale (Harper et al., 2022). En effet, beaucoup d'entre eux distinguent très clairement le fantasme sexuel de la relation humaine réelle, et certains utilisateurs rapportent même une relation plus respectueuse avec les femmes après l'usage de poupées, car leur anxiété sociale ou leur frustration a diminué (Langcaster-James & Bentley, 2018).

Néanmoins, les sexdolls sont souvent critiquées pour leur représentation hypergenrée et hypersexualisée des corps. Les modèles féminins sont généralement conçus avec des seins disproportionnés et des rapports taille/hanches impossibles, tandis que les modèles masculins sont souvent dotés de musculatures et de tailles de pénis exagérées. Ces représentations peuvent renforcer des stéréotypes de genre et des idéaux de beauté irréalistes (Hanson et al., 2024).

Du premier préjugé découle un deuxième très répandu : les utilisateurs seraient sexuellement dangereux ou « déviants ». Contrairement aux idées reçues, les propriétaires de sexdolls ne présentent pas de traits psychopathologiques sévères, ni de propension accrue à l’agressivité. Selon une étude, ils ont davantage de fantasmes sexuels liés à la coercition, mais une propension au passage à l’acte plus faible que chez des personnes tout venant non propriétaires de sexdolls. En effet, certains utilisateurs rapportent une réduction de leur agressivité et de leur stress, ce qui laisse penser que les sexdolls pourraient servir de canal sécurisé pour l'expression de certains désirs sexuels ou fantasmes (Harper et al., 2022), notamment illégaux (Harper & Lievesley, 2022).

Le troisième préjugé est que les utilisateurs sont des individus socialement inadaptés ou reclus. Or, si une partie des propriétaires de sexdolls vit seule ou présente un isolement relationnel (49 % selon Langcaster-James & Bentley, 2018), cela ne signifie pas pour autant un désengagement social. En effet, les forums de propriétaires montrent une forte solidarité, des interactions régulières et une organisation communautaire active. Ils offrent un espace bienveillant, où les dollers peuvent partager leurs expériences, des conseils et des encouragements pour surmonter les défis liés à l'usage des sexdolls. De plus, le besoin de lien humain n'est pas forcément absent : certains usagers ne voient pas leur poupée comme une substitution, mais comme un complément à leur vie sociale (Döring & Pöschl, 2018).

Les love dolls comme outil thérapeutique : potentiel et limites

Les professionnels de santé commencent à explorer le potentiel thérapeutique des sexdolls pour certains patients. Par exemple, pour des individus souffrant de solitude, de troubles anxieux ou de difficultés relationnelles, les sexdolls pourraient offrir un soutien émotionnel. Cela peut également être un outil sécurisant et réparateur après des expériences traumatisantes, en particulier lorsque cet usage est accompagné de soins thérapeutiques (Knafo, 2015).

Ainsi, les sexdolls pourraient être utilisées comme outils de rééducation sexuelle, aidant les individus à retrouver confiance en eux et à améliorer leur estime de soi (Langcaster-James & Bentley, 2018). Les professionnels de santé pourraient les intégrer à leurs propositions thérapeutiques, afin d’aider les patients à gérer leurs difficultés ou à surmonter des traumatismes, bien que cela nécessite un encadrement rigoureux pour éviter tout risque de dépendance ou de repli social.

Au-delà du sexe : comprendre le concept d’Allodoll

Le concept d'allodoll a été utilisé par des chercheurs pour décrire une relation qui va au-delà de l’utilisation sexuelle des poupées. Pour eux, il s'agit également d’un usage social, d'une forme de complicité émotionnelle où la poupée est perçue comme un.e partenaire à part entière, capable de fournir un soutien affectif et une présence rassurante. Ce concept élargit la vision traditionnelle des sexdolls comme de simples objets sexuels, reconnaissant leur potentiel émotionnel et social. En effet, les utilisateurs développent souvent des routines quotidiennes avec leurs poupées, comme regarder la télévision ou partager des repas, ce qui renforce le sentiment de compagnie et soulage la solitude (Langcaster-James & Bentley, 2018).

Conclusion : vers une vision plus nuancée des poupées sexuelles réalistes

Loin des caricatures ou des fantasmes médiatiques, l'usage des sexdolls implique des dynamiques complexes, entre intimité, besoin de sécurité, désir de contrôle et exploration érotique. Les données disponibles montrent que ces objets peuvent avoir une fonction réparatrice, gratifiante, voire stabilisatrice pour certains individus, en particulier dans des contextes de souffrance sexuelle et affective. Toutefois, ils comportent aussi des risques d'addiction, de repli social et d’évitement relationnel.

Pour les professionnels de santé, il s'agit de comprendre l'usage des sexdolls comme un indice ou un outil, en lien avec le parcours de vie et les besoins physiques et psychiques de chaque personne. Il est essentiel d'en parler de manière informative et non jugeante, afin que chacun.e se sente compris.e et respecté.e dans sa sexualité, quelle qu’elle soit.

Ce contenu a été écrit par Louise PAITEL , Psychologue clinicienne et sexologue diplômée, chercheuse à l’Université Côte d’Azur de Nice. Elle accompagne LOVE AND VIBES en apportant une approche scientifique et bienveillante de la sexualité.

Références

  • ​American Psychiatric Association. (2013). Diagnostic and statistical manual of mental disorders (5th ed.). Washington, DC: Author.
  • Aoki, B. Y., & Kimura, T. (2021). Sexuality and affection in the time of technological innovation: Artificial partners in the Japanese context. Religions, 12(5), 296.
  • Desbuleux, J. C., & Fuss, J. (2023). Is the anthropomorphization of sex dolls associated with objectification and hostility toward women? A mixed method study among doll users. Journal of Sex Research, 60(2), 206–220.
  • Döring, N., & Pöschl, S. (2018). Sex toys, sex dolls, sex robots: Our under-researched bed fellows. Sexologies, 27(3), 133–138.
  • Hanson, K. R., Döring, N., & Walter, R. (2024). Sex doll specifications versus human body characteristics. Archives of Sexual Behavior, 53(6), 2025–2033.
  • Harper, C. A., Lievesley, R., & Wanless, K. (2022). Exploring the psychological characteristics and risk-related cognitions of individuals who own sex dolls. The Journal of Sex Research, 60(2), 190–205.
  • Harper, C. A., & Lievesley, R. (2022). Exploring the ownership of child-like sex dolls. Archives of Sexual Behavior, 51(8), 4141-4156.
  • Knafo, D. (2015). Guys and dolls: Relational life in the technological era. Psychoanalytic Dialogues, 25(4), 481–502.
  • Langcaster-James, M., & Bentley, G. R. (2018). Beyond the sex doll: Post-human companionship and the rise of the ‘allodoll’. International Journal of Social Robotics, 10(1), 121–130.
  • Peschka, L., & Raab, M. (2022). A thing like a human? A mixed-methods study on sex doll usage. International Journal of Sexual Health, 34(4), 728–746.
  • Richardson, K., & Brilling, J. (2015). The campaign against sex robots. Retrieved from https://campaignagainstsexrobots.org