Vous est-il déjà arrivé de ressentir une attraction irrépressible pour quelqu’un que vous ne supportez pas ? Ce mélange explosif de colère et de désir, c’est ce qu’on appelle le « hatefuck ».
Aussi envoûtant qu’inquiétant, ce concept soulève de multiples questions : est-ce sain de laisser la rancœur et l’attirance se mêler ? Quelles limites poser ? Et surtout, comment gérer l’après ?
Hatefuck : de quoi parle-t-on, au juste ?
Le hatefuck, c’est le fait de coucher avec une personne qu’on ne peut pas encadrer, et ce, dans un élan de tension sexuelle nourrie par la rancœur ou la colère. Le paradoxe ? La répulsion côtoie l'attraction, générant une dynamique électrique et susceptible de virer à l’explosif. Cette ambivalence nourrit des affects contradictoires (colère, excitation, défi) qui peuvent coexister envers une seule et même personne dans une tension sexuelle (Birnbaum & Reis, 2012).
On retrouve régulièrement ce scénario dans les séries, la littérature ou les fanfictions, où deux personnages que tout oppose finissent inévitablement dans le même lit. Cette dynamique « je te hais, mais je te veux » peut titiller l’imaginaire, car elle évoque la transgression des normes sociales ou relationnelles. Du point de vue sexologique, ces rapports s’inscrivent parfois dans des scripts sexuels (Simon & Gagnon, 1986) spécifiques, c’est-à-dire des scénarios où les comportements sexuels sont définis par des normes culturelles, dans lesquels le conflit devient un prétexte ou un déclencheur de désir.
Ce qui rend le hatefuck (très) excitant
La première raison qui explique l’engouement pour ce type de rapport est l’adrénaline de la confrontation. Quand la colère gronde et que le cœur bat la chamade, il devient parfois difficile de distinguer la rage et excitation. Cette activation physiologique intense mobilise le système nerveux sympathique, qui gère les comportements de fuite et de combat, ainsi que l’excitation (Diamond & Dickenson, 2012). Ainsi, la réaction de stress peut être confondue avec de l’excitation sexuelle, et amplifier l’intensité ressentie.
Ensuite, il y a la catharsis érotique : l’idée de « se décharger », non seulement physiquement mais aussi émotionnellement. Mais si ce type de sexualité peut momentanément diminuer la charge émotionnelle, il ne régule pas nécessairement les causes du conflit. Le plaisir sexuel devient plutôt un moyen d’éviter un conflit plus général, un évitement renforcé par un soulagement immédiat mais passager, selon les principes du renforcement négatif (Beck, 2021).
Enfin, l’idée de céder à une pulsion envers quelqu’un que l’on hait, ou du moins qu'on croit détester, provoque un sentiment de transgression. Cela peut renforcer le désir en stimulant des fantasmes de provocation et d’interdit.
Les risques : quand la tension devient toxique
Si le hatefuck peut sembler grisant, il n’en demeure pas moins risqué. La frontière entre jeu érotique et violence réelle peut devenir floue, surtout lorsque la rancœur est réelle. La recherche montre que la sexualité dans une dynamique conflictuelle peut être accompagnée de comportements agressifs, verbaux ou physiques (Stuart et al., 2006). L’absence de sécurité émotionnelle fragilise la relation et rend plus difficile la phase de récupération.
De plus, l’ambivalence émotionnelle qui entoure ces rapports peut nourrir un climat de confusion. Après coup, les sentiments de honte, de culpabilité ou d’auto-dévalorisation peuvent apparaître, amenant à une altération du « soi sexuel », en particulier si l’un.e des partenaires se sent utilisé.e ou s’il y a eu un déséquilibre de pouvoir (Birnbaum, 2013). En effet, la sexualité, pour être épanouissante, suppose un minimum de confiance, de respect et de clarté émotionnelle (Levine, 2003).
Enfin, sur le plan psychologique, il peut s’agir de la répétition d’un schéma infantile de violence intrafamiliale (Young et Klosko, 2018). En effet, selon l’ouvrage « Je réinvente ma vie », nos attirances affectives et sexuelles peuvent découler de relations dysfonctionnelles vécues dans l’enfance. Il faut donc rester vigilant.e à la cause de ses ressentis : s’agit-il d’une reviviscence de relations toxiques appartenant à l’enfance, ou d’une envie adulte, consciente et sans danger ? Le risque peut être de s’habituer à associer sexualité et conflit, association qui pourrait altérer l’image de soi et la représentation du lien à l’autre et à l’intimité
"Le plus important est que la sécurité psychique et physique soient assurée, pour soi et pour l’autre" - Louise PAITEL, Psychologue clinicienne et sexologue diplômée, chercheuse à l’Université Côte d’Azur de Nice. -
Comment tenter un hatefuck sainement : conseils pratiques
Pour celles et ceux qui envisagent malgré tout d’explorer ce terrain miné, quelques précautions s’imposent :
Clarifier ses motivations
Avant de franchir le pas, prenez un instant pour explorer vos pensées et émotions. Est-ce un désir partagé ? Est-ce une fuite face à un conflit non résolu ? L’approche TCC recommande d’identifier les croyances sous-jacentes (« Je dois exprimer ma colère par le sexe », « C’est le seul moyen d’avoir du pouvoir sur l’autre ») pour éviter des comportements répétitifs et non conscientisés.
Définir un cadre
Même si l’atmosphère est teintée d’hostilité, un minimum de communication est nécessaire. Définir des limites claires, qu'elles soient physiques, émotionnelles ou verbales, un safeword ou des signaux conjoints d’arrêt permet de réduire les risques de débordement. Et si vous êtes en pleine tempête émotionnelle, cette pratique n’est pas indiquée. Ce type de cadre fait écho aux pratiques du BDSM responsable, qui insiste sur la règle du « Safe, Sane and Consensual » (Weiss, 2006).
Choisir un lieu “neutre”
La neutralité de l’espace permet de ne pas polluer votre quotidien émotionnel. Des études sur la mémoire émotionnelle montrent que les lieux sont fortement associés à l’intensité des souvenirs (Buchanan, 2007 ; Nadel & Bohbot, 2001). Préserver son espace personnel des tensions vécues permet de maintenir des repères de sécurité psychique et éviter un redoublement de flashbacks en cas de vécu traumatique.
Gérer l’après
L’aftercare est fondamental, même après une rencontre conflictuelle. Ce moment post-coïtal permet de vérifier l’état émotionnel de chacun.e, valider les ressentis, nommer les éventuelles difficultés et de décider s’il est souhaitable de renouveler l’expérience. Un recentrage sur les valeurs relationnelles peut être nécessaire : « Est-ce que ce type de relation m’aide à être le partenaire que je veux être ? », « Est-ce que cette pratique correspond au type de relations que je souhaite construire ? »
En conclusion, le hatefuck est un cocktail mêlant désir, colère et transgression. Pour certain.es, c’est une parenthèse stimulante, pour d’autres, une source de confusion ou de blessure émotionnelle. Le tout est d’en être conscient.e, d’en parler, et de ne jamais perdre de vue ses besoins profonds. Même dans la confrontation la plus intense, le respect et le consentement sont absolument nécessaires entre les partenaires.
Le hatefuck est un cocktail mêlant passion et aversion, susceptible de produire des étincelles — parfois fascinantes, parfois brûlantes. Si vous choisissez de vous y essayer, soyez conscient·e des pièges et accordez-vous le droit de poser vos limites ou de faire machine arrière. Quoi qu’il arrive, n’oubliez jamais que votre bien-être physique et émotionnel reste prioritaire, et que le consentement est une composante non négociable, même dans la plus intense des confrontations.
Ce contenu a été relu et validé par Louise PAITEL, Psychologue clinicienne et sexologue diplômée, chercheuse à l’Université Côte d’Azur de Nice, afin de garantir l’exactitude, la bienveillance et la rigueur scientifique des informations présentées.
Références
- Beck, A. T. (2021). Cognitive behavior therapy: Basics and beyond (3rd ed.). Guilford Press.
- Birnbaum, G. E. (2013). Reconceptualizing the importance of the sexual self: A multidimensional, hierarchical model. Journal of Sex Research, 50 (3-4), 230-242.
- Birnbaum, G. E., & Reis, H. T. (2012). Attachment orientations and sex: A conceptual integration. Personal Relationships, 19 (1), 197-212.
- Buchanan, T. (2007). Retrieval of emotional and nonemotional memories. Psychological Science, 18 (1), 56-63.
- Diamond, L. M., & Dickenson, J. A. (2012). The neuroscience of sexual desire. Neuroscience & Biobehavioral Reviews, 36 *(1), 141-152.
- Levine, S. B. (2003). Sexual life: A clinician's guide. Guilford Press.
- Nadel, L., & Bohbot, V. D. (2001). The role of the hippocampus in memory for places, events, and their context. Hippocampus, 11 (1), 1-4.
- Simon, W., & Gagnon, J. H. (1986). Sexual scripts: Permanence and change. Society, 23(4), 95-100.
- Stuart, G. L., Moore, T. M., Ramsey, S. E., & Kahler, C. W. (2006). Psychopathology in women arrested for domestic violence. Journal of Interpersonal Violence, 21(1), 77-90.
- Weiss, M. D. (2006). Maintaining the edge: A guide to safe, sane, and consensual BDSM_. Greenery Press.
- Young, J. E., & Klosko, J. S. (2018). Je réinvente ma vie (2nd ed.). Éditions de l'Homme